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samedi 17 mars 2012

''Exhibition trip'' à Cotonou

Dessins de Benjamin Déguénon



Cycle (IR)REALITES


L'un des dessins de Benjamin, au cours de l'exposition (Photo de Sophie Négrier)



Mi-hommes, mi-bêtes, des animaux mythiques enchantés par la flûte d’un dieu Pan citadin, êtres fantasques à tête et troncs humains, jambes effilées prolongées en sabots, queue d’âne ou de lion, bêtes à corps humain, êtres cornus avec des seins pointus et croupes de femme, pieuvres, étoiles de mer, serpents, reptiles divers, insectes géants, têtes d’oiseaux, suspendues, accrochées, pendues, à un poteau ou à un véhicule quelconque, virevoltent dans un environnement urbain, ligotés par des fils de fer, planent - sibyllines créatures familières de nos vies modernes, expressions secrètes de nos modernes superstitions - dans un paysage rabougri, miniaturisé, au-dessus des avions, voitures, motos, trains, arbres, au-dessus (ou plutôt au-delà ?) des rues grouillantes d’un petit quotidien, d’une vie à petite échelle ou les rapports de force et les directions semées d’embûches sont les vecteurs d’un perceptible déséquilibre. Sortant de leurs gueules, accrochés à leurs griffes, serres, crocs, pendent des fils conducteurs qui relient et enferment tout ce monde dans un cercle étroit sous le signe omniprésent d’une croix, la souffrance, le lot de l’être, excroissance discrète de leur corps.



Benjamin Déguénon



« Dans mon enfance », raconte Ben avec un sourire mi-triste, mi-étonné, « je trouvais un plaisir fou à lancer des pierres sur toutes les bêtes du voisinage qui avaient le malheur de me rencontrer sur leur chemin ». Insensible à leur souffrance comme aux invectives des adultes, il s’adonnait tous les jours à sa passion, à améliorer son tir et à se réjouir de son excellente adresse.


Aujourd’hui, jeune adulte et ami des bêtes, il se remémore ses anciennes « victimes », la douleur qu’il a dû leur infliger et s’interroge sur les raisons qui ont fait jaillir cette violence primaire, même si elle s’est évanouie un jour comme elle était venue, sans crier gare, sans préavis. Exercices d’exorcisme, points de départ d’une réflexion sur le monde, ces « péchés de jeunesse », il les métamorphose en dessins.



Havre d’imagination, la surface blanche - lisse ou poreuse aux petits reliefs, mais toujours blanche, blanche comme l’aube des désirs, comme l’absence de pensée, comme le brouillard avant qu’il ne se dissipe, cette surface où le blanc a sa place, son rôle à jouer, effet de mise en scène qui ne révèle que mieux le noir du crayon, l’encre du stylo et les pastels où, des fois, il laisse son crayon, ses stylos, ses « bics », ses pastels, courir d’une manière qui rappelle l’écriture automatique des surréalistes - lui est certainement exutoire, mur des perceptions qu’il recense comme un état de lieux du rêve, mais d’un rêve éveillé, presque palpable.



Nous sommes aspirés par l’énergie que chaque dessin dégage, astreints au regard par le spectacle, par les personnages qui se présentent un à un dans un défilé d’une beauté dérangeante, et la chaise où nous étions assis, observateurs étrangers, devient soudainement inconfortable.



Un autre dessin de Benjamin (Photo de Sophie Négrier)


Certains dessins ressemblent à des esquisses, contours griffonnés qui nous laissent suspendus, joyeusement effrayés, à son imaginaire ; des esquisses de vie, scènes d’une (ir)réalité troublante, découpée avec audace dans l’émerveillement ou la stupeur où ce monde le plonge ; d’autres se peuplent sans encombrer l’espace où les quelques touches de couleurs qu’il ajoute ci et là avec justesse, lèvent le rideau sur un décor autrement troublant.


Ben a l’acuité de voir la bête qui gît en chacun d’entre nous et de savoir nous la montrer avec finesse, de saisir aussi la part de beauté et de composer un tableau gracieux, épuré, où les formes se déforment en un perpétuel mouvement au point de nous donner l’impression de n’avoir jamais tout vu, de n’avoir pas encore compris et de nous tenir scotchés, toujours en éveil, happés par un nouveau détail, à chercher des sens nouveaux.


Il insinue peut-être que la part d’ombre ne peut jamais être entièrement tirée vers la raison, que l’obscurité est la face cachée de la lumière. Mais, sans la nuit que serait le jour, si ce n’est qu’un tombeau de formes sans relief ?!



Dans ses dessins, nous voyons un clin d’œil au travail de Ndoye Douts ; pensez aux véhicules miniaturisés qui sillonnent les toiles du Sénégalais et, héritage de son compatriote Dominique Zinkpé, une certaine manière de tracer ses personnages qu’il imprègne d’un brin d’érotisme, élément assez rare dans le paysage béninois. C’est indéniable, Zinkpé est un incendie dans les arts béninois et Ben a emporté de la ferveur du maître pour explorer ses propres angoisses avec une grande sensibilité.



L’artiste a commencé son art en faisant de la récupération, à redonner vie aux cimetières de produits de la société de consommation, tailleur de tôles, couturier au fil de fer des boîtes de conserves assemblées en tableaux pleins d’une nouvelle vitalité, compositions hétéroclites de matières qu’il a percées, soudées, martelées, découpées, sous la chaleur ou la pluie, dans une lutte acharnée avec la matière. Il a canalisé peut-être cette violence d’antan, violence qui, d’impulse destructeur devenait énergie vitale, projection d’une fureur d’exister, exercice difficile dans une société mutante, tiraillée entre les presqu’inutilisables valeurs du passé et le « nouveau monde » brutal, niveleur où les individus perdent leur identité et se retrouvent gavés d’inutilités modernes, proies du jetable et du futile.

Dans une belle continuité, Benjamin Déguénon poursuit son chemin de croix, à ressusciter, avec cette force que seuls les êtres fragiles peuvent connaître, des images enfouies dans son subconscient, à traduire l’indicible dans un ballet d’allégories plus ou moins transparentes sur le destin, sur la raison d’être, tout en se gardant de nous livrer la part de mystère qui rend une œuvre de l’esprit indéfinissable.



De la part de Fabiola Badoi




Fabiola Badoi

samedi 10 mars 2012

Vernissage à Cotonou

Processus de Waba 2012


Neuf philosophes en marche vers Belleville



''Exhibition trip'' : c'est le nom de l'exposition collective qui permet à neuf artistes plasticiens béninois de montrer leurs œuvres, au Restaurant l'Atelier, depuis le jeudi 8 mars dernier. Une initiative qui constitue la transition vers une aventure, celle de la ville française de Belleville ; elle s'annonce pour dans quelques petites semaines.



Marius Dansou, Grek, Ange Houndéton, Benjamin Déguénon, Kajéro, Phillipe Abayi, Romuald Mévo-Guézo, Méhomez et Zansou : ce sont les 9 artistes-plasticiens béninois, les 9 futurs voyageurs qui font leur les intimes salles-à-manger du Restaurant ''L’Atelier'' de Cadjèhoun, à Cotonou, depuis le jeudi 8 mars, et qui s'en iront de là le 25 du même mois.
A travers les œuvres et, surtout, le message qui en ressort, ils prennent l'allure de philosophes déterminés, tout en inscrivant dans la nature des leçons fortes sur les secrets de notre vie tantôt purement africaine, tantôt universelle, à construire le parcours qui s'achèvera avec leur participation au Festival Waba 2012, cet événement tant attendu en novembre de cette année, qui aura la particularité de connaître l'exploration de l'univers plastique béninois par un regard bellevillois assez ouvert et facile à l'adaptation.
Selon quelques-uns de ces philosophes, l'exposition collective ''Exhibition trip'' se lie à deux objectifs cardinaux : permettre à ces Bellevillois en puissance de récolter des fonds aux fins du financement de leur voyage et de leur séjour dans cette ville française, et cultiver au sein de ces artistes le travail en équipe, entretenir la synergie qu'ils sont capables de créer, afin d'enrichir Belleville de la spécificité artistique béninoise, dans la diversité des talents en jeu.



De l'un à l'autre

Si ces 9 artistes ont enregistré la sympathique et symbolique participation de leur aîné, le reconnu Dominique Zinkpè, à travers un tableau sans titre, le seul sur chevalet, ils manifestent, l'un et l'autre, la spécificité d'inspiration souhaitée pour une expression d'un Bénin et d'une Afrique pluriels.

D'abord, Marius Dansou, le philosophe des Masques, lance les hostilités, à travers pas moins de cinq œuvres qui magnifient l'art de celui-ci de confectionner métalliquement une diversité de formes de visages humains rencontrés çà et là.

Avec Grek, le philosophe de la magie latéritique, c'est la station debout de ses quatre sculptures, qui monopolise le regard du visiteur, celles-ci qui, résultat de la combinaison, de la fusion de papier, de tissu jean, de carton, de fer, de plastique, de colle, notamment, suscitent, comme il fallait s'y attendre, des interrogations multiples focalisantes.

Quant à Ange Houndéton, ce philosophe des sciences des couvents béninois, ce ne sont que deux œuvres, deux statues, mais qui en imposent par la densité du message de lui qui se considère comme le ''Dieu des Africains'' et qui s'inspire énormément de cette célébrité d'Homme-orchestre de Sagbohan Danialou selon qui, ''si l'Afrique en est aux errements culturels actuels, ce n'est pas la faute de l'ex-colonisateur mais plutôt de l'Africain qui a vendu son frère à ce dominateur", ce qui met l'Afrique dans la triste et regrettable position de la connaissance de son histoire et de sa culture authentiques par le recours aux Blancs. C'est une catastrophe que dénonce Houndéton, d'où son appel à l'arrêt par l'Africain de la négligence, du rejet de son patrimoine. Ainsi, du fond de l'exploitation des capsules de bouteilles de boisson, en lieu et place des cauris, du fond de l'utilisation du raphia utilisé à une époque lointaine par les Rois dans les couvents, du fond du réinvestissement des noix de ces couvents, des perles des femmes de ces lieux de culte et, du fond des deux œuvres résultant de tous ces matériaux, Ange Houndéton conclut à la nécessité pour l'Africain du retour à ses sources religieuses, cultuelles et culturelles, elles qui, aujourd'hui, inspirent le Blanc, dans sa lutte contre l'épuisement et la saturation de sa propre culture.

En ce qui concerne Benjamin Déguénon, voilà le philosophe de la multi-dimension, naviguant librement entre dessins et œuvres de récupération, aux fins de l'expression de formes de métamorphoses se fondant sur une certaine complémentarité entre le réel et l'irréel pour finalement traduire les mutations complexes auquel est sujet l'homme à notre époque. Ce sont dix-sept tableaux - ce qui fait de lui le plus prolifique de l'expo - divisés en deux groupes, l'un consacré à des dessins révélant justement ces métamorphoses et, l'autre, montrant un art particulièrement intéressant dans l'agencement d'une multitude de figures géométriques communiant dans la symbiose du message de la prudence dans la conduite de la vie.


Avec Kajéro s'impose la philosophie de la liberté, celle apparemment traduite par le ''Ose devenir qui tu es'' d'André Gide. Donc, par quatre tableaux produits à partir de papier mâché, de sciures de bois, et par des couleurs de toutes sortes valorisant la liberté, le tout mis à contribution pour construire l'histoire du destin humain compromis par la renonciation à la vocation originelle, Kajéro impose son message : "L'homme qui naît, c'est une place qui se crée et qui nous attire, ce que manifeste la chaise qui revient intrinsèquement à cet homme et qu'il doit occuper, de peur de vivre une vie écartelée, manquant d'authenticité". Voilà donc un appel de ce philosophe à l'homme ayant une double mission : découvrir l’œuvre pour laquelle il est né et l'accomplir.

Se rapportant à Philippe Abayi, ''le Doyen'', ce philosophe de l'anticipation, une toile unique s'exprimant par un faisceau de couleurs variées et harmonieuses, sur fond de la technique de l'acrylique sur toile, lance une atmosphère excitant à l'échange comme s'il avait prévu cette situation nationale de la crise dans le système éducatif béninois.

Du côté de Romuald Mèvo-Guézo, ce sont sept sculptures qui mettent au jour la technique mixte particulière, propre à lui, dénommée par lui "éco-plastique sculpture". Voici le philosophe du réalisme socio-politique livrant des faits du quotidien banal de toutes sortes de personnages. Mais frappe cette étincelance neutre et discrète de la matière des sculptures, ce qui dénote de la force d'un travail de longue haleine sur la matière.

Méhomez : C'est un artsite-palsticien teint clair de Porto-Novo dont le regard chaud et futé, illuminant une tête ''rastarisée'', capitalise l'intérêt du visiteur vers trois œuvres qui, dans un élan commun, parlent de la fête, à travers deux concepts chers à cet autre philosophe du réalisme social : la cannette et le torchon. L'un est un matériau concret, l'autre, virtuel, immatériel.

Zansou, lui, frappe dans la grandeur pour marteler son message, dans une technique associant le charbon combiné à l'ocre et à l'acrylique. C'est le philosophe de la nuit ; pour lui, elle est le point de départ, peut-être pour Belleville ....


Marcel Kpogodo





Le regard de Fabiola Badoï sur l'exposition

"Car le monde n'est pas humain pour avoir été fait par des hommes, et il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu'il est devenu objet de dialogue".
Hannah Arendt


Ce qui, de prime abord, lie les Artistes exposant à l'Atelier est leur participation collective à la 23ème édition des Portes ouvertes de Belleville, à Paris, début mai 2012, dans le cadre d'un dialogue artistique entre l'Association Elowa et AAB, l'Association des Artistes de Belleville. En janvier dernier, 6 artistes bellevillois ont passé deux semaines en résidence au Bénin à travailler et exposer avec leurs collègues béninois. A leur tour, ces artistes béninois poursuivront l'échange en France, à découvrir ce qui se fait dans l'art, ailleurs que chez eux, à rencontrer le public européen et les galeries parisiennes afin de se positionner sur le marché de l'art. C'était l'objectif de WABA, la première ouverture des ateliers des artistes de Cotonou et de Porto-Novo, manifestation organisée par Elowa, en 2010, dans le cadre de Regard Bénin.

Pourquoi eux ? Tout simplement parce qu'ils font partie de ceux qui donnent un nouveau souffle aux arts plastiques béninois.

Vu le nombre des artistes, le travail proposé ici est bien évidemment varié ; il couvre aussi bien la sculpture sous ses représentations diverses, statuettes, masques en bois, en métal, en plastique fondu ou en tôle, que la peinture et le dessin, explorés en toute liberté créatrice.

C'est indéniable et dans l'ordre des choses que certaines de leurs œuvres font encore la transition entre un passé de traditions et de croyances, un monde avec des règles bien établies, et le présent, moderne, sans inhibitions, sans tabous mais, souvent déstabilisant et chaotique, en permanente mutation où ils vivent. Mais, ce souffle novateur que j'évoquais traverse l'ensemble de leur œuvre, les arrache à ce mo(n)de connu en les inscrivant dans un parcours que l'artiste défriche ou découvre, toujours en quête, de cette condition qui, on le sait, est la sienne.

Leur travail aborde des thèmes universels : l'identité, la religion, la place qu'on occupe dans le monde, le quotidien, nos craintes et nos espoirs, dans un ballet sulfureux de matières, de formes et de surfaces.

Ils sont 9. 9 "exhibitionnistes" en voyage, 9 "gens du voyage", intérieur celui-ci, 9 comme sang neuf, tous mus par un même désir : proposer leur vision intime du monde.

Ils nous invitent à être du voyage, à nous exposer nous aussi à leur regard, puisque lorsque nous regardons une œuvre, elle nous regarde aussi et ce n'est que ce croisement de regards qui permet la rencontre.


Fabiola Badoï