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mardi 11 juillet 2017

« […] demander à un artiste de venir emprunter de l'argent, je peux garantir que ça ne marchera jamais », dixit Meschac Gaba

Dans une interview accordée à notre Rédaction

Depuis la dernière semaine du mois de juin 2017, l’artiste plasticien béninois, Meschac Gaba, est en exposition à la Galerie ’’Tanya Bonakdar’’ de New York. De retour de cette ville américaine et, en marge d’une interview qu’il a bien voulu nous accorder pour discuter de cette exposition, l'artiste montre un avis complètement défavorable face à l’idée du Ministère béninois de la Culture de soumettre les artistes et les acteurs culturels à un Fonds de bonification …

Meschac Gaba

Le Mutateur : Meschac Gaba, bonjour à vous. Vous revenez  de New-York où vous avez lancé votre exposition à la Galerie ’’Tanya Bonakdar’’. Comment s'intitule cette exposition ? 

Meschac Gaba : Cette exposition s'intitule ’’Solo Meschac Gaba’’.


 
Dans quel cadre cette exposition a-t-elle été organisée à New-York ?

Cette exposition, comme c'est une galerie commerciale, je travaille avec elle, elle travaille avec d'autres artistes. Donc, tous les deux ou trois ans, les artistes qui travaillent avec elle, elle leur donne l'opportunité de faire une exposition-vente. Ce n’est pas une exposition muséale ou institutionnelle, c’est une exposition où les travaux seront vendus.


Ces expositions vont durer combien de temps ?

Je pense, normalement, un mois, mais la Galerie peut montrer ces travaux, ces œuvres dans des foires ou dans des musées.


Vous avez envoyé à cette galerie trois œuvres fondamentales, trois œuvres qui interpellent. Est-ce que vous pouvez, une à une, les prendre, donner leur titre et nous expliquer leur concept ?

Je vais commencer pas ’’Les perruques de Washington’’, une œuvre qui a été réalisée à Cotonou et qui a été montrée en défilé au ’’Centre’’ de Godomey, à Atrokpokodji. 
''Les perruques de Washington'' (Crédit photo : Meschac Gaba)

Ce sont des perruques de Washington ; c'est dans cette ville de Washington que je les ai faites en perruque. Je pense que ce travail n'est plus nouveau pour quelqu'un ; ce sont des tresses, mais c'est des formes de buildings qui se trouvent à Washington.


''Reflexion room'' (Crédit photo : Meschac Gaba)
La deuxième œuvre s’appelle "Reflexion room’’. C’est une tente qui est faite avec les drapeaux déformés du monde ; ça peut faire penser peut-être à l'Amérique où tu retrouves toutes les nationalités, ou à une ville africaine, comme l'Afrique du Sud, pour ne pas même épargner le Bénin, parce qu'à l'heure où nous parlons, je ne sais pas s'il y a un pays nationaliste qui existe vraiment. Si un pays nationaliste existait, on serait en train de faire cette interview en fon ; on la fait en français, donc, d'une manière ou d'une autre, tous les pays du monde sont devenus un peu internationaux. Si on parle de globalisation, on retrouve tout le monde sous la même tente, avec le problème de chacun, car le Bénin ne peut pas avoir les mêmes problèmes que les Etats-Unis et les Etats-Unis ne peuvent pas avoir les mêmes problèmes que le Bénin.

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Et la troisième œuvre, s'il vous plaît ?

La troisième œuvre, c'est ’’Hommage aux  noyés’’. 

''Hommage aux noyés'' (Crédit photo : Meschac Gaba)

J'ai fait cette œuvre par rapport aux réfugiés et aux immigrants qui, l'année passée, sont tombés et, même, maintenant, tombent par centaines ou par milliers, dans la mer, en prenant des bateaux de petite fortune, pour aller chercher quel bonheur ? On ne sait pas … Le rêve de l'eldorado …, mais qui finissent beaucoup, noyés, dans la mer. J'ai fait ça en hommage à ces réfugiés parce que comme je te l'ai raconté, nous, à une époque, on a habité le quartier ’’Maro millitaire’’ (A Cotonou, Ndlr). C'était proche de la mer.
Donc, il y avait beaucoup de noyades dans la mer. Les gens, nos parents ou nos amis, ils mettaient du tissu et des lanternes à la mer quand un de leurs proches était noyé, pour que son esprit ne vienne pas pleurer à la maison et les déranger ; j'ai fait ça en hommage aux réfugiés. C’est pour ça qu’il y a trois lanternes et beaucoup de draps ; c'est symbolique.


Mais, on constate qu'à travers ces trois expositions, il y une couleur culturelle purement béninoise, surtout quand on prend la dernière œuvre que vous avez expliquée ; vous y avez utilisé le cru du Bénin, la mentalité béninoise …

Au fait, je suis Béninois, je suis né à Cotonou. Bien sûr que j'ai vécu en Hollande, mais c’est quand j'avais 35 ans que j’ai voyagé pour ce pays. Donc, la culture béninoise est ancrée en moi, mon travail ne peut pas échapper à ça, mon travail reflète la culture béninoise.


Quels sont les artistes que vous avez côtoyés à New-York, au cours de votre exposition qui devrait durer un mois ?

Il y avait quelques artistes dont Mark Dion ; c'est un artiste américain.  En dehors de lui, il y avait de jeunes artistes que la galerie m’a présentés. Avec Mark Dion, on était dans le même dîner. Dans l’exposition, j’ai aussi rencontré des curateurs et des directeurs de musées, des consultants d’art. Et puis, je connais d'autres artistes ivoiriens qui étaient à New-York, mais j’étais trop occupé à montrer mon exposition, pour aller leur rendre visite. Ce sera pour une autre exposition.  


Quand on imagine les perruques et les lanternes, est-ce que cette exposition a été difficile à monter ? 

Non. Dans une galerie, on dispose d’au moins cinq assistants. Donc, comme j'étais là pour cinq jours, cela a été monté,  dans les délais ; je ne peux pas dire que c'était difficile, c'était ok, c'était bon.


De quelle manière les Américains chez qui vous avez exposé ces trois œuvres ont récupéré cette mentalité béninoise ? Est-ce que vous avez réussi à leur inculquer toute cette réalité qui vient du Bénin et qui vous a vraiment inspirée ?

C'est une bonne question. Tu sais, quand je fais mon travail, je pense que je suis artiste, je ne suis pas un artiste nationaliste, je suis un artiste international, je fais mon travail que chacun interprète à sa manière, mais je ne fais pas un travail en ne pensant qu'au Bénin, je fais un travail en pensant au monde entier, parce que le problème que le Bénin a peut dépendre du monde ; on ne gagne rien en se renfermant et, il n'y a plus aujourd'hui, dans le monde entier, un pays qui a un problème qu'il peut gérer tout seul, donc, mon travail est plus ouvert sur le monde que renfermé sur le Bénin. Alors, dans mes expositions, je ne mets pas un accent grave sur le Bénin, mais le Bénin fait partie de l'histoire de mon travail.


On constate que vous n'avez pas changé votre tendance cosmopolite, votre tendance internationaliste qu'on a vue à travers des expositions, comme ce que vous avez fait lors de la Biennale ’’Regard Bénin’’ de 2012. On avait vu beaucoup de drapeaux et on constate que votre tendance vraiment universaliste est permanente et, pourtant, il y a des pays qui refusent de recevoir des réfugiés, il y a des pays qui rejettent les étrangers, il y a beaucoup de pays en Europe qui ont opté, à travers les élections, pour des partis purement nationalistes, hostiles à l’entrée des étrangers sur leur territoire ...

Je pense que ça va passer ; c'est des trucs qui ne marchent pas. Je pense que, d'une manière ou d'une autre, ces petites histoires de nationalistes, ça ne va pas durer un temps, ça ne va pas aller loin parce que le monde sera le monde. Tu sais,  si tu prends l'histoire de la Chine, c'est le marché mondial, c'est là où les gens ont fabriqué tout, donc, il n'y a plus de pays aujourd'hui qui puisse se renfermer sur lui-même. Le reste, c'est pour attirer des élections populaires. C'est tout, ça s'arrête là !


Avez-vous la même interprétation par rapport aux États-Unis qui ont voté pour Donald Trump, un républicain archi-nationaliste ?

(Gros rires) Tu vois, c'est une question qu’on se pose : est-ce que cette personnalité ne joue pas ? Est-ce qu'on connaît vraiment cette personne ? La même personne qu'on dit qu'elle est archi-nationaliste, avant de descendre au Bénin, j’ai lu, sur les réseaux sociaux, que ce Président a proposé un décret pour que les Congolais viennent en Amérique sans visa. Donc, c'est un peu ambigu. Tu comprends ! Je pense qu'on doit faire un peu attention, pour lui donner un peu de temps, parce que Trump, il vient de commencer, ça fait à peine deux ou trois mois, donc, il faut lui donner du  temps : un an ou deux ans. Oui, pour qu'on puisse vraiment le juger, parce que, moi, j'étais choqué et embêté de voir un président qu'on dit très nationaliste mais qui dit que les Congolais peuvent venir en Amérique sans Visa.
Parfois, ces personnes jouent pour gagner les élections. Alors, si ce Président dit que les Congolais peuvent entrer en Amérique sans visa, ça veut dire qu’il n'est vraiment pas contre les Africains. Maintenant, s’il y a des pays qui ont des dettes économiques à régler avec l'Amérique, c'est leur problème ; ce n'est pas l'Afrique qui a ce problème à régler avec l'Amérique. 


Vous vivez, le plus clair de votre temps, en Hollande, mais vous êtes au Bénin actuellement. Est-ce que vous permettez qu'on parle politique ? 

Ouais, c'est une bonne question. Je ne connais  pas trop la politique béninoise et, c'est ce que tu connais que tu peux critiquer. On entend, dans la rue, les gens qui se plaignent un peu. Moi, je ne me plains pas. Tu comprends ? Et, si je veux parler de la politique béninoise telle que je la comprends, pour le Président, il faut donner encore un an ou deux ans pour voir, parce qu'il a hérité d'un pouvoir. Si tu hérites d'un pouvoir, il y a beaucoup de choses à corriger et, je ne sais pas s'il a hérité d'un pouvoir où l’on a laissé beaucoup d'argent ou d'un pouvoir où il y a beaucoup de dettes. Si c'est un pouvoir où il y a beaucoup de dettes, même si l’on dit qu'il est milliardaire, il ne va pas donner tout son argent pour régler le problème d'un pays. Son argent ne peut pas devenir l'argent de la trésorerie béninoise. Alors, il faut lui donner un peu de temps pour voir. Maintenant, si on n’est pas satisfait, comme il a dit qu'il va faire cinq ans, il va les faire et il saura qu'il a mal dirigé, mais on ne va pas se mettre à le bouder, à le critiquer. C'est difficile de diriger, hein, même une petite entreprise ! 



Meschac Gaba, votre dernière exposition au Bénin, c'était le 4 février 2017, au ’’Centre’’ de Godomey, situé au quartier Atrokpokodji. Cela vous a permis de rencontrer beaucoup d'autres artistes béninois, à travers le vernissage qui a eu lieu. Quels sont les retours que vous avez eus par rapport à cette exposition, quelques mois auparavant ?

Les retours ? Tu sais, c'est un travail expérimental que j'ai fait par rapport aux peintures et, des journalistes ont produit des articles là-dessus ; je ne connais pas l'opinion du public concernant ce travail, mais je sais qu'il y avait du monde. J'étais heureux que le public béninois s'y soit intéressé et puis, il y a une galerie sud-africaine que cela a aussi intéressé, et deux quand même de ces peintures exposées ont étés vendues à la Foire de Bâle de 2017, mais à un très bon prix ! Donc, je pense que cela a été positif pour moi. Tu vois ? On n’a même pas fini l'année et j’ai commencé à vendre ces peintures sur des marchés internationaux. Donc, je remercie ’’Le Centre’’, qui m’a donné l'opportunité de faire cette exposition parce que, quand tu veux expérimenter quelque chose, tu as besoin d'un espace aussi pour le montrer. Cet espace qu’est ’’Le Centre’’ m’a permis d'expérimenter quelque chose ; ça me permet de continuer dans ce sens, avec les peintures.


On peut dire que votre jardin privé d'où vous avez tiré vraiment la substance de ces tableaux si extraordinaires que vous avez réalisés, ce jardin privé que vous nous avez donné le privilège de visiter vous a porté chance …

Ouais, je peux le dire ! Cela m’a porté bonheur. Tu a vu que quand tu es entré tout à l'heure chez moi, j’y étais … C'est un jardin que j'aime et qui m'inspire, donc, je suis tout le temps en train d'arranger les plantes.


Quelles sont vos relations avec les artistes d'art contemporain qui sont au Bénin ? Qui sont ceux que vous fréquentez le plus ? Qui sont ceux qui viennent vous voir, vous qui êtes souvent en Hollande ?

Je fréquente Dominique Zinkpè. Je pense qu'il est un peu occupé maintenant, donc, je le fréquente moins : il gère deux structures, il a son propre travail, il doit être très occupé. Pour le reste, on se retrouve sur les réseaux sociaux, comme avec Charly d'Almeida, Bello, puis, il y a aussi Gratien Zossou, Koffi Gahou et Kouass, qui sont des amis à moi et, quand on a l'occasion de se rencontrer, de créer des situations, on le fait. Maintenant, il y a d'autres jeunes dans mon quartier qui ont un café à côté ; quand je passe, je leur dis bonjour.


Vous voulez parler du ’’Parking bar’’ de Fidjrossè ?

 Ouais. 


Vous avez sûrement entendu parler de la polémique des réformes au Ministère de la Culture, des réformes au niveau du Fonds d'aide à la culture. Tout à l'heure, vous avez parlé de Koffi Gahou. Avez-vous appris qu’il a publié une Lettre ouverte au Président de la République sur le Fonds d'aide à la culture ?

J'aimerais bien la lire ... Après l’avoir lue, je vous en donnerai mon point de vue.



Que dites-vous de la polémique sur les réformes au Ministère de la Culture, et qui font que tout est bloqué actuellement ?

J'en ai entendu parler. Je sais qu'il y a une crise économique dans le pays. Peut-être que c'est ça qui en est à l’origine. On ne le dit pas directement, mais on est en train de réajuster le Fonds d'aide à la culture. Peut-être qu’il y a une crise économique derrière ça et, quand il y a une crise économique, dans un pays, la première victime, c'est la culture.
En Europe, on connaît ça ; le sport, les gens le tolèrent,  parce que le sport ramène de l'argent. Mais, la culture, ça ne ramène pas beaucoup à l'État. Tu vois ? Donc, la culture est la première victime. Maintenant, si ce n'est pas qu'il y a une crise économique, alors, c'est qu'il y a un problème à résoudre ; ça veut dire que nos dirigeants ne sont pas intéressés par la culture. Mais, si c’est qu’il y a une crise économique, il faut que les artistes soient tolérants avec eux. Maintenant, je ne connais pas ce qui est à la base du blocage, parce que si je te donne l'exemple de la Hollande, beaucoup de professionnels de la culture ont perdu leur travail, beaucoup de musées se sont fermés.



C'était en quelle année ?

Ce n’est pas loin ; il y a trois ou quatre ans. En Hollande, ils ont pas mal de musées ; ils ont renvoyé beaucoup d'employés. Je ne sais pas si c'est le même phénomène qui se passe ici.


En matière de réformes, le Ministère de la Culture veut revoir le système de  d'octroi de l'aide aux artistes, il veut qu'il y ait un Fonds de bonification qui soit là pour rembourser les intérêts des prêts qui auront été faits aux artistes …

Pour faire des prêts !


Oui, désormais, les artistes bénéficieront de prêts qu’ils rembourseront après la réalisation de leurs projets

L'idée est bien quand il y a un marché de l'art, l'idée est bien quand il y a un marché de musique. Si le Ministère de la Culture veut créer une banque pour les artistes, je ne trouve pas ça mauvais.


On a parlé d'un Fonds de bonification …  

Je ne sais pas ce que le Ministère appelle ’’bonification’’. Et si les artistes ne remboursent pas ? 


Il semble que lorsque l'artiste fait le prêt et que l'Etat est là pour garantir les intérêts, c’est lui qui va prendre en compte les intérêts générés par ce prêt. Mais, l'artiste doit venir rembourser intégralement ce qu'il a pris …

Dans tous les pays du monde, l’art est inclus dans les organisations à but non lucratif ;  est-ce que le Ministère va prêter aussi de l'argent à ces organisations à but non lucratif ?


Apparemment, oui …

Et, comment une organisation à but non lucratif peut payer, peut rembourser ? Puisque c'est une organisation qui ne fait pas de bénéfices, elle va rembourser comment ? Tu vois qu'il y a un problème qui ce pose.
Donc, ça veut dire que les gens qui gèrent la culture, ce ne sont pas des gens qui connaissent le système. Ils doivent mettre des gens qui connaissent le système, qui connaissent la culture, les gens qui ont de l'expérience, parce que ce truc est complètement erroné et faux.
On ne peut pas prêter de l'argent à un artiste qui a un marché. Un artiste qui a un marché n'a pas besoin du Ministère de la Culture, il peut s'adresser directement à une banque. Donc, si le Ministère béninois de la Culture veut faire des prêts, je pense que c'est erroné. Je pense qu'il faut leur dire d'arrêter avec cette histoire.
S'il y a un artiste qui a les moyens, qui a besoin de prêt, il va à une banque. Il y a des banques primaires comme les Clcam (Caisses locales de crédit agricole mutuel, Ndlr), mais il n'ira pas emprunter de l'argent au Ministère de la Culture. À la rigueur, la structure bancaire peut demander à l’artiste de lui donner une peinture ou un tableau, pour en faire un musée, demain. Mais, demander à un artiste de venir emprunter de l'argent, je peux garantir que ça ne marchera jamais. C'est clair et net ! Alors, c'est une idée complètement fausse.
Moi, j'ai de l'expérience ; j'ai sillonné le monde : même les galeries commerciales postulent à des fonds d'aide parce qu'elles payent beaucoup et, parfois, elles ne savent si elles vont faire des ventes.
Par exemple, la galerie qui m'a invité, c'est elle qui a acheté mon ticket, c'est elle qui m'a hébergé à l'hôtel, c'est elle qui a payé le transport de mes œuvres. Donc, si elle ne fait pas des ventes, elle va faire des pertes. Même les fonds d'aide, en Europe, aident un peu les galeries commerciales, pour couvrir les frais de transport, les frais d'hôtel, les frais de restauration. Par rapport à ce que dit le Ministère de la Culture, je lui propose d’envoyer ses cadres faire des stages en Europe, en France, pour savoir comment ça se passe, au lieu de rester ici et d'improviser des choses. Ils ont vraiment besoin d'expérience ; c'est ce que je pense.


Avez-vous quelque chose, une initiative pour les artistes d'art contemporain, qui vivent au Bénin, qui aiment bien vos expériences, qui se rapprochent de vous, qui ont envie de profiter un peu de vos expériences, qui ont envie que vous les aidez à aller l'international ?

Toute artiste jeune qui a besoin de conseils, c'est gratuit. S'il m'approche, j'ai un peu d'expérience que je peux partager avec lui, ça ne me gêne pas. Même des gens qui ont des problèmes avec le Fonds d'aide, s’ils ont besoin de conseils, je peux leur en donner. 
Et, vous savez, c'est pour la première fois j'entends parler d’un ministère de la culture qui veut prêter de l'argent aux artistes ; cela, c'est complètement incroyable. Il peut, à la rigueur, acheter des œuvres, s'il ne veut pas jeter son argent pour aider l'artiste ; ça se fait en Europe où on donne et on reçoit aussi quelque chose. C'est comme ça qu’on gère un fonds d'aide, mais on ne prête pas un fonds d'aide aux artiste, ça va finir par un bagarre. Le Ministère de la Culture ne peut pas mettre en prison, parce que l'art, c'est de la passion, ce n'est pas un travail qui a un but lucratif. Nous, les artistes, sommes heureux qu'on puisse gagner de l'argent avec l’art, mais les galeries invertissent de l'énergie pour que cela soit le cas. Ce n'est pas qu'elle met l’argent dans une petite chambre et qu’elle s'asseoit, c'est qu'elle voyage dans des foires où elle loue des stands à 20 mille, 10 mille ; elle a un personnel à qui payer son salaire.


Quand vous parlez de 20 mille, de 10 mille, c'est en euros ou en dollars ? 

En euros, si c’est en Europe et, en dollars, chez les Américains. Ce sont des gens qui invertissent beaucoup. Déjà, dans un pays où il n'y a pas de musées, l'État doit coopérer avec les artistes, au lieu de les pénaliser et de les empêcher de travailler.


Avez-vous un mot à dire à nos lecteurs pour clore cette interview ? Quels sont vos projets ? 

Dans le mois prochain, j'irai en Afrique du Sud, pour faire un projet sur une pièce qui s'appelle ’’Détresse’’, avec les phares de voiture. Et puis, je vais faire une exposition, en septembre, à Paris, dans une galerie et, éventuellement, je vais passer pas Londres pour préparer un projet pour l'année prochaine.  


Merci beaucoup, Meschac Gaba !


Recueil des propos : Marcel Kpogodo
Transcription : Frumence Djohounmè
Correction : La Rédaction

samedi 4 mars 2017

Gaba et Pouyandeh : se guérir au ’’Centre’’ d'Atrokpocodji à Godomey

Dans le cadre d’une exposition que les artistes animent depuis février 2017


Depuis le 4 février 2017, deux artistes peintres sont en exposition au ’’Centre’’ de Godomey. Il s’agit de la Franco-iranienne Nazanin Pouyandeh et du Béninois Meschac Gaba. Une tendance très curative se dégage des œuvres que ces créateurs donnent à voir jusqu’en avril prochain.

Nazanin Pouyandeh
Se guérir du sentiment de détresse, d’angoisse, de perte de repères, cela est bel et bien possible, ce que montre un processus artistique simple mais percutant : installation d’un géant collier de phares de détresse de véhicules, allumés, d’une part, celle-ci mise en communication avec un tableau aux tendances de couleurs très apaisantes pour l’esprit, d’autre part, parmi un ensemble de six toiles, pendant que, d’un autre côté, une technique classique de peinture, modernisée est remarquable à travers des petits formats de tableau, et même par des objets typiques exposés. C’est ainsi que Meschac Gaba et Nazanin Pouyandeh, donnent à voir leurs œuvres, depuis le 4 février dernier, dans le bloc d’exposition du ’’Centre’’ d’Atrokpocodji, situé dans l’Arrondissement de Godomey, de la Commune d’Abomey-Calavi.

''Détresse''
Après environ une trentaine de jours de résidence de création, Meschac Gaba, monument des arts plastiques au Bénin, peintre, récupérateur, installateur, déambulateur, fait honneur à sa réputation d’artiste particulièrement inventif, en présentant six toiles ayant suivi un laborieux processus de création. Des feuilles de son jardin, recueillies, pressées selon un système d’étalement sur une feuille de journal, laquelle est mise en contact avec la plaque en bois qui doit entrer dans la composition physique de la toile. Un poids de surface est posé sur cet ensemble pendant plusieurs semaines. Résultat : les feuilles laissent de fortes et indélébiles empreintes sur la plaque de la future toile, celles-ci étant de plusieurs espèces : hysope simple, hysope blanche, hysope aquatique, hibiscus, notamment. Aussi bien des plantes médicinales que des plantes qui portent protection et bonheur.
Et, ces traces obtenues, Meschac Gaba appliquera différentes techniques artistiques pour affiner le travail : le pointillisme, la peinture sur toile à l’acrylique avec, comme support, des couleurs multiples : vert, violet, blanc, entre autres, avec leurs sensations apaisantes sur la psychologie du visiteur.
''Hysope blanc'' et ''Misère'' de Meschac Gaba
Ainsi, dans l’une des salles d’exposition du ’’Centre’’ de Godomey, l’installation ’’Détresse’’ laisse découvrir le collier géant, qui décline différentes couleurs clignotantes de feux de détresse de voitures de toutes marques, de quoi restituer ce sentiment qui atteint les êtres humains et qui les déstabilisent. Et, en diagonale, dans la salle ’’Mon jardin’’, le tableau ’’Misère’’, paradoxalement à sa dénomination, dans son ton violet, parsemé de pointillés blancs, détend profondément, faisant oublier cette détresse. De même, les autres toiles, ’’Cérémonie des couleurs’’, ’’Hysope aquatique’’, ’’Hysope blanc’’, ’’Feuilles de jazzmen sauvage’’, et ’’Kpatima’’, viennent renforcer cette atmosphère apaisante, caractéristique de l’espace ’’Mon jardin’’, dédié aux œuvres de Meschac Gaba, pour la durée de l’exposition.



Nazanin Pouyandeh, une thérapeute culturelle

La démarche de la Franco-iranienne s’enfonce dans une pratique purement classique faisant valoir la technologie contemporaine. Elle photographie ses modèles, affiche grandement à son ordinateur l’image choisie pour la peinture, regarde cette photo et la restitue, à l’aide de son pinceau. « Cette technique me permet d’améliorer la vision qu’on a de l’homme », explique-t-elle. « Il s’agit d’un jeu avec le spectateur ; je me mets très proche du réel mais je livre une scène improbable », appuie Nazanin Pouyandeh. Chez elle, la nudité est souvent de mise, ce qu'elle démythifie aisément: « La nudité présente l'aspect de l'homme dans son état le plus primitif, le plus vierge ».

Les toiles de Nazanin Pouyandeh
Ces modèles, par la peinture sur toile, elle reproduit ce que son inspiration de l’instant lui donne à voir d’eux, ce que son esprit lui dicte de ce qu’ils sont, de leur richesse intrinsèque, de ce que, eux lui donnent à exprimer d’eux, ce qu’elle livre aussi à partir de ce que son pinceau, de ce que sa main transmet du message de ses yeux qui captent la photo prise. Une manière aussi, pour l’artiste, de se mettre à la place de Dieu, pour procéder, à sa manière, à des retouches sur la personnalité physique originelle du modèle.

Des objets symboliques dont s'inspire Nazanin Pouyandeh
En outre, comme le décrit Nazanin Pouyandeh, trois niveaux sont perceptibles sur chacune de ses toiles de petit format. Le premier concerne le personnage, telle que son inspiration a choisi de le reproduire. Concernant le deuxième niveau, il livre ce qu’elle appelle des « objets symboliques » et, dans le cas d’espèce, il faut compter avec des masques, des objets traditionnels, représentatifs du culte vaudou. Quant au troisième niveau, il matérialise le pagne dit africain qui devient le fond de décor de la toile.  

Des oeuvres ayant établi la célébrité de Nazarin Pouyandeh
Voilà une technique qui, globalement, est productive. En effet, il est essentiel de se guérir de la perte de ses racines, dans un pays comme le Bénin, anciennement colonisé par la France et où l’on accorde plus de valeur et de crédit aux éléments culturels en provenance d’ailleurs, de l’Occident. Nazanin Pouyandeh nous met en contact, à travers ses toiles, avec notre vécu culturel authentique, à commencer par des personnages de notre environnement qui lui ont servi de modèle. En outre, les objets symboliques qu’elle choisit d’immortaliser constituent un sujet pour reconstituer et immortaliser la richesse de la civilisation africaine.
Jusqu’au 1er avril 2017, les œuvres présentées par Meschac Gaba et Nazarin Pouyandeh peuvent être visitées au ’’Centre’’ d’Atrokpocodji, à Godomey.


Marcel Kpogodo

vendredi 3 février 2017

Meschac Gaba, une exposition thérapeutique de la détresse au ’’Centre’’ de Godomey

Dans le cadre d’un vernissage prévu pour ce vendredi 3 février

’’Le Centre’’ de Godomey abritera une double exposition. Ce sera dans la fin d’après-midi du vendredi 3 février 2017. L’un des artistes invités à présenter ses œuvres n’est personne d’autre que le Béninois Meschac Gaba, très connu de par le monde pour ses très atypiques inspirations. Le visiteur qui fera le déplacement peut être alors certain de se faire embarquer dans une atmosphère résolument curative de la détresse.

Meschac Gaba, dans ses explications, entre autres, de l'exposition
Des phares de voitures assemblés, montés en deux séries verticales jointes, allumés, clignotant de la détresse, en blanc, en rouge ou en jaune, d’une part, et un peu moins d’une dizaine de toiles d’un genre assez singulier, d’autre part. Le menu du fruit de la toute nouvelle inspiration de l’artiste peintre, récupérateur, installateur et déambulateur béninois, Meschac Gaba, ce qui sera présenté ce vendredi 3 février 2017, dès 18 heures, au ’’Centre’’, le complexe culturel situé à Atrokpocodji, dans l’Arrondissement de Godomey, à Abomey-Calavi.
Dans la première salle d’exposition, relativement spacieuse, se l’accapare une sorte de géant collier composé de plusieurs tailles et de différentes formes de phares, ceux-ci qui dictent leur émotion des situations d’urgence, celles incarnant la détresse. Avec les deux plus petits phares qui, reliés à l’ensemble par un fil conducteur de courant, terminent chacun des bouts de la série, et qui demeurent détachés, l’ensemble donne l’impression d’un serpent aux mille couleurs au repos, repu. 

Le serpent aux mille couleurs de détresse de Meshac Gaba
Et, ce géant collier aux multiples scintillances clignotantes symbolise la détresse, dans tous ses états, telle qu’elle se manifeste partout, « au niveau de la santé individuelle, de la famille, de la société en général, du monde économique, de celui politique », confie Meschac Gaba, se risquant à décrypter une inspiration inédite. « La variété des couleurs de la détresse montre que ce sentiment touche toutes les races d’hommes de la terre, tout le monde entier, tous les hommes, tous domaines de différences confondus étant concernés par la détresse », conclue l’artiste, sans oublier que, selon lui, les différentes tailles de phare portent aussi une signification précise : l’homme dans toutes ses dimensions physiques.
Et, Meschac Gaba développe davantage en évoquant l’absence de gratuité du choix du thème de la détresse, étant donné qu’inspiré d’un instant éprouvant de maladie, qu’il a traversé, il s’en est sorti et décide d’en produire un impact positif sur la société, d’où l’effet purement catharsistique de cette installation, ce que le public est appelé à venir vivre, à expérimenter.
En outre, l’état de détresse trouve une solution inédite dans le deuxième pan de la présentation artistique du créateur, ce qu’il faut trouver par l’exposition dénommée ’’Mon jardin’’.  A travers des tableaux généreusement imprégnés de la fibre de plantes curatives qui poussent dans son jardin, à domicile,  Meschac Gaba renforce l’état de catharsis et de purgation de la détresse chez le visiteur. Ainsi, des plantes bien connues comme l’isope simple, l’isope aquatique, l’isope blanche, l’hibiscus, entre autres, ont généré une ingénieuse représentation sur des tableaux de couleurs plutôt apaisantes comme différentes teintes de vert, le blanc, le violet, ce qui guérit de la détresse ressentie dans la salle précédente ; l’artiste réussit la stratégie de communication entre l’installation et l’exposition de toiles, opportunément logée dans un espace plus étroit, plus rectangulaire, plus intime, aux fins d’une communication de la sérénité, d’un sentiment de profond apaisement. Cette démarche de conception de toiles  détermine plus que jamais en Meschac Gaba le génie d’imagination et de création que le monde entier s’arrache pour des productions artistiques au caractère inédit perpétuellement renouvelé, pour des enseignements universitaires en Occident, qui s’activent à lire un cerveau d’une productivité aux contours toujours imprévisibles. « C’est un nouveau départ », commente-t-il concernant cette technique de transposition curative des plantes sur des toiles. « Mais, j’ai besoin de le développer », finit-il. Une troisième surprise de Meschac Gaba pour le visiteur de l’exposition de cette fin d’après-midi du vendredi 3 février 2017, au ’’Centre’’ de Lobozounkpa : la déambulation, dont lui seul a le secret de la réussite, de ses perruques ayant fait le tour du monde ; elle est prévue pour ouvrir la manifestation de vernissage. Mille regrets aux absents !




Marcel Kpogodo

lundi 3 août 2015

Christelle Yaovi à cœur ouvert : « […] je cultive la lumière, même si ce n’est pas facile tous les jours»

Dans une interview exclusive


Elancée, teint d’or, arborant un port altier, Christelle Yaovi, de famille de Souza, s’inscrit, depuis peu, dans une logique de jet de ses projecteurs sur des inspirations d’artistes béninois et étrangers. Dans le cas d’espèce, elle initiait, le 3 juillet 2015, à l’Agence ’’Air France-Klm’’ de Cotonou, l’exposition ’’Voyage imaginaire’’ faisant valoir l’œuvre de Sœur Henriette Goussikindey. Une énergie ainsi investie suscite, vis-à-vis de cette personnalité qu’est Christelle Yaovi toute une curiosité très vite étanchée par cet entretien qu’elle a bien voulu nous accorder. Il en ressort que la lumière constitue l’un de ses puissants moyens d’action ….  

Christelle Yaovi
Stars du Bénin : Bonjour Christelle Yaovi. Vous êtes une artiste franco-béninoise. Pouvez-vous définir votre place dans les arts au Bénin ?


Christelle Yaovi : Je suis peintre ; je pense que c’est le domaine que je préfère. Je suis plasticienne, puisque je fais aussi des installations ; j’ai eu l’occasion de pouvoir le faire, en résidence, avec Meshac Gaba, également, à Bakou, à Azerbaïdjan, où j’ai été invitée après la Biennale, celle de Cotonou.
Je sculpte, je fais de la photographie et j’écris, j’écris aussi beaucoup. D’ailleurs, lors de mes expositions, quand je mets mes œuvres, j’écris sur les murs ; j’aime beaucoup l’écriture (Voir des textes de l’artiste, à la fin de l’interview, Ndlr).


Pouvez-vous nous parler de votre passage à Azerbaïdjan ?
Au cours de la Biennale du Bénin en 2012, il y a eu plusieurs artistes qui y ont participé, des Japonais, des Brésiliens, des Sud-Américains, des Français, notamment, Daphné Bitchatch, artiste française, qui a, elle-même participé à différentes expositions à Azerbaïdjan, a parlé de mon travail qu’elle a découvert ici. C’est comme cela que je me suis retrouvée à y être invitée pour réaliser une grande installation.


Et, comment c’était, à Azerbaïdjan ?
Moi, j’ai adoré. D’abord, ce sont des gens qui vous accueillent de manière extraordinaire, qui adorent les artistes et, c’est un pays controversé parce qu’on parle de dictature, - mais, bon, nous sommes en Afrique, donc, nous savons de quoi nous parlons … - mais qui investit énormément sur les artistes. Ils aiment recevoir et, surtout, découvrir des artistes du monde entier. Donc, l’artiste franco-béninoise que je suis, a été découverte et appréciée à sa juste valeur.  


Comment une artiste plasticienne, franco-béninoise, comme vous, exerce au Bénin ? Comment travaillez-vous, dans ce contexte de double nationalité ?
Déjà, comme tu peux le voir dans mon atelier, je participe à certains projets, mais dont je suis souvent l’initiatrice, puisque j’ai créé ’’Le monde de Sica’’, qui a pour concept de faire des expositions collectives, justement, pour prononcer le lien entre les artistes, entre les œuvres, mais, aussi, toujours dans mon côté assez spirituel de la chose, en me disant que « l’union fait la force » et qu’on est tous ensemble, qu’on n’est pas si séparés. C’est quand même mon grand concept.
Comme j’ai pu aussi travailler avec ’’Air France’’, en présentant Sébastien Boko et Dina, j’initie surtout des projets, entre autres, ’’Starting block’’, avec Meshac Gaba et Thierry Oussou, ’’Le monde de Sica’’, avec Daphné Bitchatch, Diagne Chanel et Dominique Zinkpè, d’une part et, Sébastien Boko et Dina, d’autre part. Mais, voilà, c’est un travail très personnel. Comme on ne m’inclut pas souvent dans les projets, je crée les miens, je vends lors des visites de mon atelier. L’édition de mes propres catalogues permette aussi de faire connaître mon travail. C’est à peu près comme cela que je fonctionne.


En tant qu'artiste plasticienne, après nous avoir dit de quelle manière vous avez commencé à peindre ou ce qui vous a amenée à ce métier, pouvez-vous décrire votre démarche artistique ?
Ma démarche artistique?
En premier, je dirai que cela a été ma thérapie, la peinture m'a permis d'exorciser la souffrance, la douleur de mon héritage et ainsi garder un espoir envers et contre tout. C'était la première étape. 

Ma démarche artistique est constituée d'étapes. Je n'en avais pas conscience en commençant.
Il y a cette première étape douloureuse, tourmentée, et l'étape suivante a été d’entrer en contact avec les autres, mettre en lumière les différents liens, autant dans la mémoire collective que le tragique collectif, ou dans l'histoire de chacun d'entre nous.

Il y aura toujours une part de cette étape dans les suivantes.

Aujourd'hui, je commence l'étape où l'on sait en grande partie qui on est, où on assume tout, et où on se met à nu, on met à nu aussi les autres.

Ma démarche est toujours un pas vers les autres, des pas, vers soi même ...

Les thèmes s'imposent et je les suis, mais avec toujours une grande liberté! Art= Liberté. Avec une immense ouverture d'esprit, qui, d'une manière, entraîne vers un hors thème, selon d'autres... Lors d'une résidence, je ne m'attache pas trop au thème, je le rends extensible pour pouvoir laisser libre cours à ma créativité.


Vous dites qu’on ne vous inclut pas souvent dans des projets. Est-ce que cela veut dire que l’univers des arts plastiques au Bénin ne vous accepte pas ?
Me rejeter ? Non ; je ne suis pas la seule dans ce cas. Je pense que la première place, qui est la place de choix, est faite aux hommes. Les hommes artistes, au Bénin, sont reconnus bien plus facilement ; les femmes, elles, émergent. Et, c’est plus compliqué pour les femmes, c’est franchement plus compliqué. Mais, je dirais aussi que, par exemple, quand vous prenez le domaine des artistes chanteurs ou autres, vous avez ceux qu’on mettra toujours sur le devant de la scène et ceux à qui on ne va pas la laisser forcément accéder. Je pense que c’est dans ce cas de figure que je me retrouve. Mon métissage est parfois un handicap, parce que ma légitimité, du coup, d’être aussi Béninoise ne m’est pas reconnue ; ce sont des moments où on me l’enlève. D’un seul coup, on se dit : « Elle est un peu trop blanche … ». Et, même, il y a des visites de projets qui viennent de l’Extérieur, où des Blancs, qu’ils soient Américains, Français ou autre, ont jugé que je suis trop blanche pour représenter une artiste béninoise. L’art contemporain est universel, il n’y a pas l’art contemporain fait pour moi, béninois ou africain, français ou autre ; c’est de l’art contemporain.
On stigmatise encore les gens et, du coup, moi, je n’entre pas forcément dans des cases. Quand quelqu’un dit, à propos de moi : « Tiens, je vais te présenter une artiste béninoise ! ». On le dit comme ça et, moi, je rectifie toujours, « franco-béninoise … ».      


Cela veut dire que votre côté européen, parlant de votre peau blanche, n’est pas un avantage pour vous …
Pas toujours. Il l’est, cela dépend où je me trouve. Que je sois en Europe ou en Afrique, par exemple, c’est un avantage ou un handicap, selon les situations et, selon, aussi, la bonne ou la mauvaise foi des gens.
J’ai l’impression qu’au Bénin, les gens se diraient, en me voyant, la peau claire, l’air distingué, que je suis trop à l’aise pour entrer dans certains projets. Et, de l’autre côté, on se dirait que je ne suis pas assez dans la précarité pour bénéficier d’un projet visant à faire sortir les artistes locaux de l’ombre …
De toute façon, j’ai écrit un texte sur mon métissage. Au fait, c’est selon les gens, parce que le métissage, ça dérange toujours. Quand vous prenez Obama, on dit qu’il est noir, or il est métis. Il est métis, on est bien d’accord ? Et, pourtant, on te dit qu’aux Etats-Unis, on s’obstine à dire qu’il est noir. Il est noir et blanc, à la fois.
Finalement, ça dérange les gens, parce que c’est une forme d’unité et de résilience ; on unit plusieurs cultures, selon les différents métissages, les différentes couleurs, les différents héritages, en une seule personne, la plupart des gens ne sont pas à l’aise avec ça.
Moi, que j’aille bien ou pas, que j’aie de l’argent ou que je n’en aie pas, vous n’allez pas le voir ; c’est peut-être comme cela que j’ai été élevée où on est toujours très fiers, avec beaucoup de dignité. Mais, comme tu le dis, les gens qui me voient me perçoivent juste grande, avec une forme très distinguée. Du coup, quand on me voit, on se dit : « Hum, celle-là, elle n’a besoin de rien, donc elle n’a pas besoin de venir faire partie de ce projet … », « Celle-là, elle en a tellement qu’elle ne va même pas nous regarder ... ». Et, il y a des jeunes artistes qui, parfois, me disent : « Je n’ai pas osé venir vous dire « bonjour » ou vous proposer quelque chose … ».
Moi, je dois respect à toute personne qui me respecte.  En dehors de ça, il n’y a pas de grand, il n’y a pas de petit, on est tous faits pour apprendre ; les aînés m’aident à quelque chose, je suis aînée de certains, je suis là, je discute avec tout le monde, je ne fais pas de snobisme, du tout ! On préfère me mettre cette étiquette, avant d’apprendre à me connaître. On ne me donne aucun bénéfice du doute, puisque les gens estiment que je suis trop belle pour être intelligente et talentueuse. C’est quand ils se mettent à parler avec moi qu’ils se disent : « Ah, elle est belle, mais elle a quand même aussi un cerveau … », parce qu’on aime dire que les femmes qui sont belles n’ont pas de cerveau … Ils disent : « Ah non, elle a aussi un cerveau, elle sait réfléchir, elle sait analyser et, elle est aussi généreuse, elle est aussi très gentille et, à l’écoute, quand elle peut rendre service, elle le fait ». Pour les gens, ça fait trop … Donc, je suis trop …, pas assez … Enfin, voilà …


Pour résoudre ce problème, vous ne vous enflammez pas, vous ne vous aigrissez pas, vous mettez plutôt un système pour vous positionner, en créant des projets. D’où vous vient cette faculté de dépassement ?  
Je vais t’expliquer cela le plus simplement possible. J’ai toujours eu la faculté de m’accrocher au positif et non au négatif. Tout au long de ma vie, bien évidemment, depuis ma plus tendre enfance, j’ai rencontré des personnes généreuses, attentionnées et bienveillantes qui ont laissé leur empreinte, une empreinte si forte que mon expérience avec les autres malveillants, méchants, assassins, dans leur comportement, ne m’a jamais inspirée. Ma spiritualité, ma foi me permettent de savoir que la vie met les pendules à l’heure, d’elle-même ; je n’ai donc pas à me soucier de me venger. Du coup, je n’ai pas besoin d’être aigrie. J’aime la lumière, je baigne dans la lumière, mes œuvres sont empreintes de lumière, je suis une lumière, je cultive la lumière, même si ce n’est pas facile tous les jours. De cultiver la lumière, d’être positive, d’évoluer dans la bienveillance, permet de construire dans l’espoir et de transmettre l’espoir.  


Pouvez-vous parler un peu de votre vie de famille ? Etes-vous mariée ? Avez-vous des enfants ?
Je suis divorcée avec un fils qui aura bientôt 19 ans et que j’ai élevé seule, en grande partie. Mais, je suis également la maman de 9 filles, mes sœurs.


Etant mère d'un garçon, pouvez-vous évoquer les relations que vous entretenez avec votre fils?
Mon fils! Avant de pouvoir répondre, je me suis demandé si ce n'était pas trop privé. Ça l'est.
Et, en même temps, je peux en parler un peu.
Mon fils a un œil très critique, une critique que je qualifie de constructive. J'aime qu'il puisse avoir sa propre vision. J'ai réussi une partie de mon rôle de mère. J'ai toujours voulu qu'il exerce son œil sur le monde dans lequel il vit, qu'il ne prenne jamais pour argent comptant ce qu'il entend, ce qu'il lit, ce qu'on lui apprend et même ce que je peux lui dire. Il est vital d'apprendre à nos enfants qu'ils ont un cerveau qu'ils doivent utiliser au maximum et qu'ils doivent trouver leur propre vérité, car je pense qu'il existe autant de vérités que d'humains dans l'univers.
Nous avons une grande complicité et un respect mutuel de notre individualité.
Nous apportons beaucoup à nos enfants, mais ils nous apportent énormément aussi, et mon fils est une vraie bénédiction! 


Propos recueillis par Marcel Kpogodo



Textes de Christelle Yaovi de Souza, illustrés de quelques œuvres significatives pour l'artiste


Il paraît

Il paraît que je ne suis personne, ni noire, ni blanche, trop noire, trop blanche...
Je suis noire, je suis blanche, je suis toutes les couleurs de l'arc-en-ciel... Je suis Or, je suis
Sica... Je suis métisse, un mélange harmonieux de tout ce que contient l'Univers.
Il paraît que je suis guenon et je me sais Reine en Héritage. Je suis Amazone, guerrière Femme.
On me réduit à un vagin sur pattes, je me sais sacrée et habitée du Divin.
Nous sommes tous issus de la lumière! Les liens sont et demeurent envers et contre tout. Toutes les étiquettes restent le bla bla des âmes perdues! Compassion pour les âmes perdues ... Le bla bla n'est que du néant!

Christelle Yaovi de Souza




Merci


Merci c'est rendre Grâce ... Un mantra de gratitude pour l'Amour, pour la Vie... Merci pour tant de courage...



Les larmes de l'âme


Pleurer à l'intérieur ... Taire ses larmes, taire sa souffrance... L'âme pleure... Les larmes de l'âme 



 Papa où t’es ?




Mon père est décédé, il m'a inspiré cet œuvre ... Il n'a pas été un bon père, il reste mon père et la chanson de Stromae conte d'une certaine manière une partie de notre histoire... Le titre a été une évidence ... 



Animus



Crédit photos : Christelle Yaovi