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samedi 7 avril 2012

Florisse adjanohoun et Alphonse atacolodjou

Fitheb 2012


Deux comédiens béninois en maturité


Ce sont deux figures phare du théâtre béninois ayant effectué un jeu dans l’une des pièces diffusées en ce Fitheb 2012. A un an d’intervalle, l’une entrait fortuitement sur les planches avec la création d’une troupe théâtrale qui a fait fureur dans les années 1990 et 2000. C’était avec Urbain Adjadi, Marcel Orou Fico, Claude Balogoun et Brice Brun. L’autre, par un « heureux hasard », comme il aime à le dire, voit le monde du théâtre lui ouvrir les bras, par le biais d’un certain Camille Amouro qui venait voir un cousin dans la maison qu’il habitait. Ce jour-là, cette belle plume se déplaçait avec Les fourberies de Scapin de Molière. C’est ainsi que notre ami initie le montage d’une troupe de théâtre à l’Ecole de base Saint Basile de Vodjè. En entrant dans le milieu, il côtoie des noms emblématiques tels qu’Antoine Dadélé, Jean-Paul Badet, en ce moment, Professeur de Français à l’Ecole Montaigne, Orden Alladatin, Alougbine Dine et Ousmane Alédji. Deuxième « heureux hasard », selon notre homme, un casting en décembre 1992 l’amène en France, une année plus tard, pour jouer dans Médée de Pierre Corneille. Mais, il crée son premier spectacle en 2001 : Monstres et saltimbanques, dans laquelle il joue le rôle d’Alpha, un chef de bande, face à un Erick-Hector Hounkpè, alias Fô Kiki, incarnant un handicapé moteur, ’’cul-de-jatte’’. En 2002, il rencontre Bruno Thircuir, un ancien technicien de l’ex-Centre culturel français, qui lui propose, en 2003, de jouer dans Don Quichotte de Cervantès. C’est l’année où il s’installe en France.


Florisse Adjanohoun


Situation presqu’analogue de l’autre côté puisque, elle, au début des années 2000, fait plusieurs tournées en France, elle qui, quelque années plus tôt, après avoir obtenu son Bac, se trouve aux prises avec ses parents, des Administrateurs des Impôts, qui ne voulaient pas la voir s’investir professionnellement dans le théâtre, considéré comme précaire et peu sérieux. Mais, convaincue de n’être née que pour la vocation dramatique, elle fonce et se professionnalise à travers un nombre incomptables de pièces dans lesquelles elle se produit en Europe et dans les Antilles, notamment. Elle fait même des ateliers avec des metteurs en scène. Entre temps, elle s’est mariée mais, cela se termine par une séparation. De retour au pays vers la fin de la première décennie de l’année 2000, elle gère une galerie d’art pendant trois ans et arrête parce que la scène lui manquait. A l’heure actuelle, quand ses père et mère voient l’actrice confirmée qu’elle est devenue, ils se montrent satisfaits et l’encouragent à aller de l’avant. Pour l’instant, elle va s’investir dans la pièce, La femme et le colonel, d’Emmanuel Dongala et se prépare pour un Festival au Cameroun.


Alphonse Atacolodjou


Parallèlement à elle, l’autre acteur émérite béninois, coiffé d’un rasta, entend rester comédien et, pour un bon moment encore ! Au cas il se déciderait à se faire metteur en cène, ce serait pour quitter définitivement les planches. En outre, devant l’évocation du nom de sa collègue de jeu, il tombe d’admiration pour elle, émerveillé qu’il est de l’avoir recommandée à Bruno Thircuir pour remplacer la comédienne titulaire qui était enceinte : lorsque cette actrice d’un teint très claire, d’yeux élégamment forts et d’une taille modeste, accepta de prendre la place de celle-ci, il ne lui fut envoyé que la vidéo et le texte du spectacle, ce avec quoi elle a travaillé seule pendant fin février-début mars 2012 et, ce n’est que le jeudi 29 du second mois qu’eut lieu l’unique répétition avec l’ensemble de la troupe du metteur en scène, venue de France. Et, le 2 avril, elle s’illustra majestueusement dans Kaïna-Marseille. Celle-ci n’est personne d’autre que Florisse Adjanohoun et, cet autre grand acteur qui admire le savoir-faire qu'elle a déployé, Alphonse Atacolodjou.


Marcel Kpogodo

Kaïna-Marseille représentée à Cotonou

’’Kaïna-Marseille’’ à l’Institut français de Cotonou


Chronique d’une vie prolongée de torture


Le théâtre de verdure de l’Institut français de Cotonou a vu célébrer la force de l’expression des souffrances des immigrés en France. C’était en soirée du lundi 2 avril dernier, sous le jeu des acteurs de la Compagnie ’’La fabrique des petites utopies’’, dans une mise en scène de Bruno Thircuir.


Le contraire en aurait plutôt surpris. Pour qui connaît Bruno Thircuir dans ses mises en scène, il fallait un décor comme celui qu’il a livré au public dans la soirée du lundi 2 avril dernier, au Théâtre de verdure de l’Institut français de Cotonou. Ce décor était d’une expressivité consistante, efficace, pour matérialiser la précarité de la vie d’un immigré en France. Dans le cas d’espèce, nous sommes dans la ville de Marseille où est arrivée Mamata-Isabelle Ternier, prise par la Béninoise, Florisse Adjanohoun, en provenance de son village natal africain, fuyant un mariage forcé dont elle était la proie, et aidée en cela par sa grand-mère, Kaïna qui, pour lui permettre de s’échapper, avait feint d’être malade, de quoi polariser l’attention des notables. Dans le conteneur qui lui sert d’abri, un autre élément de torture : elle manque de se faire violer au cours d’une attaque de skinheads, fascistes racistes, sans compter que la grossesse qu’elle porte relève de la rançon payée à Papa Dia l’avocat, pour obtenir les papiers, précieux sésame pour échouer à Marseille.

De son village natal à cette ville française, il y a plusieurs rencontres dont certaines ne manquent pas de lui être bénéfiques : Douga, incarné par le Burkinabè, Moussa Sanou, le griot aveugle, rencontré dans le bateau vers Marseille, qui vit avec elle dans le conteneur, la soutient profondément dans le processus du rituel de la levée de deuil, exigée par Kaïna, et qui doit donner la paix à l’âme de celle-ci, défunte. Aussi, joué par notre autre compatriote, Alphonse Atacolodjou, Moha, l’Africain désormais francisé qui, tout en la protégeant contre toute agression extérieure, ne s’habitue jamais, d’ailleurs, à appeler Mamata, cette femme meurtrie, mais, plutôt, Isabelle.

Et, c’est là le deuxième facteur de réussite de la mise en scène de Bruno Thircuir qui laisse Mamata heureusement écartelée, par le nom qui sert à l’appeler, entre l’Afrique ses racines, et Marseille, cet Eldorado qui, dans la réalité, s’impose comme un cauchemar dont elle doit affronter les éléments d’adversité pour rester en symbiose avec le rêve transmis par Kaïna, sa grand-mère.

Dans la même logique, Mamata et Douga se comprennent en parlant, l’une, le fon ou le français, l’autre, le dioula, ce qu’on pourrait interpréter comme la volonté de Bruno Thircuir de justifier la diversité ethnique et nationalitaire des immigrés africains vers la France, lui qui, par ce décor d’un réalisme poignant de la ’’ghettorisation’’ des conditions de vie des Africains en France, montre qu’ils sont des héros cachés.

En effet, ce décor élaboré, pragmatique ne laisse aucune place au superflu ; représenté par un terrain vague nettement délimité par un grillage parsemé de poteaux portant des lampes d’éclairage, cet espace accueille un conteneur qu’habitent Mamata, Douga et Moha, ce qui fait ressortir, à juste titre, la réalité d’une situation catastrophique vécue par les immigrés clandestins en France. La force de la mise en scène réside, en outre, dans le procédé de narration de ses mésaventures par Kaïna ; elle s’investit dans un univers onirique dans lequel elle nous baigne, de façon à nous faire pleurer sur les conditions pressantes de son départ du village, l’exploitation d’ordre sexuel de Papa Dia et, surtout, la trahison de Moussa, son cousin censé lui faciliter tout à son arrivée à Marseille. Cette pièce étant la troisième branche d’une trilogie entamée avec Niama-Niama et poursuivie avec Et si l’homme avait été taillé dans une branche de baobab, cette deuxième pièce d’ailleurs jouée au Fitheb 2008, Alphonse Atacolodjou reste le fil conducteur de ces pièces liées par l’engagement de Bruno Thircuir à démontrer l’existence d’une vision française de l’immigration clandestine, cette manière de voir, plus populaire, s’opposant radicalement avec celle ambiante politiquement dans la France de Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, la mise en scène de Bruno Thircuir permet de mettre en valeur la maturité du jeu dramatique de Florisse Adjanohoun et Alphonse Atacolodjou, deux acteurs béninois qui se sont aguerris au fil de plusieurs années de pratique.

Marcel Kpogodo