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mercredi 28 mai 2014

Grâce Agnila, la détermination pour le cinéma

Portrait d'une expérience du secteur du film au Bénin

Jeune femme d’une élégance occidentale. Bien campée dans sa première moitié de la trentaine. Matinalement fraîche. Des tresses qui ne tardent pas à la faire identifier comme une Béninoise. D’un sourire franc, elle vient à ma rencontre, pour honorer l’interview qu’elle a accepté de m’accorder.

Grâce Agnila
Artiste-comédienne. Un Cv assez parlant sur ses performances en la matière. Il l’est davantage, s’agissant de son intervention à l’écran. Un nombre d’interventions assez élevé permettant de la calibrer comme une actrice de cinéma. Devant cette expression, son large sourire se raccourcit, laissant sa bouche délivrer de très personnelles informations d’ordre professionnel : comme tout comédien béninois qui se respecte, une école de formation n’a pas régulé ses premiers pas sur les planches.
Formation sur le tas, donc. « Ateliers de perfectionnements », selon sa propre expression. Avec des institutions et des noms qui ne sont pas des moindres. ’’Quintessence’’, ’’Improconté’’ du Groupe ’’Wassangari’’, Marcel Orou Fico, le fameux « Bio » de l’émission ’’Entre-nous’’, de la télévision nationale. Sans compter qu’à son bas âge, son pasteur de père, de l’Eglise protestante méthodiste, la faisait participer à la chorale des cultes, ce qui l’amenait aussi à faire du théâtre lors de manifestations religieuses particulières. « J’ai senti alors en moi quelque chose de caché qu’il fallait réveiller », confie-t-elle. Cette conviction la détermine à donner une ardeur plus forte à la pratique de la comédie.
Une poignée d’années plus tard. Cette aînée d’une famille de deux frères et d’autant de sœurs n’a plus sa réputation à faire concernant des rôles forts à l’écran. Réellement, elle participe à bon nombre de productions de la compagnie de théâtre populaire et bouffon ’’Sèmako Wobaho’’. Existence, renommée, même internationale, argent. Pendant une bonne partie de la première décennie de 2000. Elle rayonne. Mais, aussi, confiscation psychologique et artistique, illusion de professionnalisme, décalquage social de ses rôles peu honorables sur Cd, personnalité peu plaisante, absence d’une vie privée, destruction de cette vie. Etc., etc,, ce que tout le public béninois connaît dans les moindres détails, vu la notoriété de cette jeune femme, à l’époque.
Aujourd’hui, loin de tout ce tumulte. Hors de la famille ’’Sèmako Wobaho’’. Extraction, qui n’a pas été de tout repos, d’un clan assez possessif, jaloux, accapareur. Une bonne bouffée d’air libre ! Une partie en est consacrée à ’’Garcinia’’, la troupe de la très maternelle « Maman Grâce ». Un grand bol d’oxygène après cette aventure bouffonne productive et écrasante. Un gigantesque « ouf » de soulagement d’être sortie d’un tel carcan. Et, la renaissance ! Avec une aide précieuse, celle de l’autre figure de la comédie et du cinéma. Delphine Aboh, fille de sa mère ! Une confidente d’une bonne influence.
Depuis trois ans, une femme nouvelle : calme, patience, humilité, tolérance, mesure et réflexion dans les paroles. Eclairage dans une forte vie en Christ ! Par conséquent, une personnalité méconnaissable face à son entourage immédiat. Cette nouvelle lancée dicte une orientation plus constructive. Les écailles se détachent des yeux de son cœur. Il s’ouvre aux tristes réalités de son ancien monde : propension forte au mélange du théâtre et du cinéma, professionnalisme superficiel, professionnalisme nationalement populaire mais d’un total manque de crédibilité à l’extérieur, dans l’univers des connaisseurs du cinéma, amateurisme criard dans le secteur. En outre, un défi l'enflamme : réussir une vie de star de cinéma et de femme au foyer !
Ainsi, celle-ci qui apprécie beaucoup les familles heureuses, les couples qui s’entendent, qui lit beaucoup la Bible et les romans d’amour, qui préfèrent par-dessus tout les pommes et les oranges, qui fait un choix pour les parfums bons et discrets, et qui aiment les films ghanéens pour le grand jeu des acteurs, des actrices, elle qui, dans les productions où elle a été sélectionnée joue toujours la benjamine orpheline, la coépouse de sa propre sœur, la femme adultère, elle, rêve de sortir ses propres films, de réaliser un court métrage sur les enfants, pour encourager la scolarisation dans les villages, vu que les parents n’y mesurent pas l’importance de l’école. Il lui faut, selon elle, faire un bon long métrage sur Cd, qui lui permettra de revenir, comme il se doit, sur la scène du cinéma, le cinéma qu'elle préfère largement au théâtre. Elle a l’impression qu’il véhicule le vécu réel.
Elle qui n’aime pas les mauvaises surprises, déteste chez les gens la trahison, qui reproche à ses deux premiers mentors d’avoir été les seuls à évoluer socialement, elle, lit dans le monde culturel béninois un secteur où ne règnent pas l’entente ni le soutien mutuel, où il existe beaucoup de troupes, beaucoup d’acteurs pour peu d’œuvres crédibles. Elle qui capitalise près d’une quinzaine de productions avec la Compagnie ’’Sèmako Wobaho’’, qui a joué dans près d’une dizaine de films de divers autres réalisateurs, qui a connu l’expérience d’une série et de deux courts métrages, qui a prêté son image et sa psychologie circonstancielle à un bon nombre de spots publicitaires, porte le nom de Jessoufèmi Grâce Agnila.


Marcel Kpogodo 

mercredi 5 mars 2014

Alougbine Dine, le superlatif du professionnalisme

Dans la représentation de "La secrétaire particulière" de Jean Pliya

Le jeu de La secrétaire particulière de Jean Pliya a eu lieu, dans la soirée du vendredi 28 février 2014. C’était dans un archicomble théâtre de verdure de l’Institut français de Cotonou. Une vraie réussite de mise en scène qui achève de faire valoir qu’Alougbine Dine a encore de  belles choses à démontrer.


(De gauche à droite) M. Chadas (Nicolas Houénou de Dravo), Nathalie (Freedom Koffi), Virginie (Mireille Gandébagni) et Jacques (Gérard Tolohin). 
La simplicité. Voilà l’ingrédient dans lequel a investi Alougbine Dine, concernant la représentation de la pièce du dramaturge béninois, Jean Pliya. La secrétaire particulière raconte l’histoire de Nathalie, une secrétaire sténo-dactylographe, la particulière, qui entretenait des relations intimes avec M. Chadas, son patron. Celui-ci tente de mettre dans son escarcelle, Virginie, la nouvelle secrétaire mais, en vain. La première tombe enceinte, une situation catastrophique coïncidant avec une autre, son échec au concours de sélection des fonctionnaires de l’Etat. Devant ces deux faits, elle se heurte au rejet de Chadas qui la brutalise pour se débarrasser d’elle mais cela occasionne son arrestation. Et, Virginie épouse Jacques, l’autre employé du même service qui lui faisait une cour discrète et patiente.
La secrétaire particulière, c’est, d’abord, une mentalité des années des fraîches indépendances, c’est une époque révolue. Alougbine Dine, le metteur en scène de la pièce a su en rendre compte ; il a manifesté un décor concentré et pragmatique, rectiligne tout en ayant en son sein plusieurs tableaux différents s’ouvrant et se fermant au gré de l’évolution de la pièce, grâce à la lumière que le régisseur renforce ou affaiblit pour mettre en valeur ou affaiblir, aux yeux des spectateurs, une séquence de bureau. Et, Alougbine Dine n’est pas allé loin pour retransmettre cette ambiance très bureaucratique : des tables en bois, sur lesquelles on trouve une machine à écrire que l’ordinateur d’aujourd’hui a éclipsé complètement, un bureau, au bout de la chaîne, à gauche, pour M. Chadas.
Le public, dans lequel on trouvait de grandes personnalités scientifiques comme les Professeurs Adrien Huannou et Bienvenu Koudjo, du Département des Lettres modernes de la Faculté des lettres, arts et sciences humaines (Flash) de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac), des enseignants du secondaire, spécialisés, notamment, dans la discipline du Français, des cadres de tous genres, venus en tant que parents d’élèves, des apprenants, ce public a pu constater la spontanéité et l’authenticité des acteurs que le metteur en scène a programmés pour déclamer la parole adéquate, pour délivrer le geste réaliste qui donne à la pièce toute son actualité, pour vivre simplement le rôle qui leur était dévolu.
Ainsi, entre autres, Nicolas Houénou de Dravo, incarnant M. Chadas, a fait ressortir toute la duplicité morale et le caractère fémininement vicieux du personnage. Mireille Gandébagni, dans le rôle de Virginie, n’a fait que donner à envier aux filles de bonne famille d’exercer dans l’intégrité porteuse que ne valorise pas, de nos jours, une vie sociale mouvementée et débridée laissant à eux-mêmes les adolescents, sentimentalement et sensuellement.
De son côté, Freedom Koffi, en donnant de l’envergure au personnage de Nathalie, en a rendu tout à fait fidèlement la naïveté et le sens arriviste, calomniateur, moralement superficiel et physiquement élégant. Avec Gérard Tolohin, dans le rôle de Jacques, toute la poésie d’un jeune homme sorti de sa réserve et rendu à lui-même par la rencontre candide de sa collègue de bureau, a retracé l’amour méticuleux d’un homme pour celle-ci, dans une humilité du geste et des pensées qui ont donné du sens, sur cette scène du Théâtre de verdure de l’Institut français de Cotonou, à l’amour vrai.
Ne parlons pas des Fidèle Anato, planton de circonstance, qui, même s’il appuyait parfois un peu trop sur la chaîne des grimaces comiques, a mis en exergue, sous la férule d’Alougbine Dine, le caractère tout à la fois désinvolte, injuste et loufoque du personnage, des Gérard Hounnou, l’acteur aux yeux globuleux, connu de bon nombre de ses compatriotes, de par son sobriquet beaucoup trop grossier, qui a rendu, de ce réalisme simple, l’humilité de la condition du paysan béninois de cette époque des années 1960-1970, lui qui, aux prises avec une administration inefficace, n’a d’autre choix que de se rabattre sur une profonde résignation par rapport aux brimades dont il est rendu victime.
Il n’aurait pas fallu oublier des Delphine Aboh, projetant le sourire franc et la fermeté juridique de Denise, l’avocate qui, opportunément, prendra Chadas en défaut. Didier Sèdoha Nassègandé, quant à lui, dans sa tenue usée d’homme de l’armée coloniale, roulait le brutal charabia de circonstance, exécutant violemment la litanie d’identification professionnelle, à temps et à contre-temps, provoquant l’hilarité générale et la satisfaction du public, sans compter qu’au lieu d’aller se pourvoir de deux autres comédiens, Alougbine Dine
a préféré faire de cet ancien combattant chômeur, dans une deuxième vie, dans la même pièce, l’un des deux policiers qui viendront arrêter Chadas, le second n’étant personne d’autre que Gérard Hounnou qui, dans son premier rôle avait, semble-t-il, une revanche à prendre sur l’incurie du même Chadas.
Ce casting de haut niveau, pour un metteur en scène de haut vol comme Alougbine Dine, ancien Directeur du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb), de son état, a pris toute sa valeur avec l’élan audacieux qu’il a insufflé à un Gérard Hounnou, rendu ’’fonnophone’’, pour les besoins de la cause du rendu de la réalité d’une mentalité à laquelle devraient s’identifier les Béninois, avec le ’’grimacier’’ Fidèle Anato qui tantôt imitait mal son patron, tantôt s’enfonçait dans des initiatives personnelles désastreuses qui faisaient tordre de rire le public, ce qui a contribué à montrer à plus d’un, en cette soirée du vendredi 28 février, qu’il en avait eu pour son argent. Et, la volonté proclamée d’Alougbine Dine de faire débarquer cette pièce et ces acteurs dans les collèges pour les apprenants qui ont ce livre au programme en 4ème, a suscité une clameur de grand enthousiasme.
Par ailleurs, si ce metteur en scène a émerveillé, c’est qu’il a donné, en sus, une sorte de défilé des acteurs, avant de lancer le jeu, ce qui a plongé cette pièce dans la modernité et l’universalité du problème des tares administratives qui, à travers les décennies et les systèmes politiques au Bénin, ont persisté, tout en changeant de forme, tout en s’adaptant aux modes de vie nouveaux. Pour la réussite générale, Alougbine Dine n’est pas allé trop loin, il a tout simplement investi dans la simplicité de ses idées, très créatives.  



 Marcel Kpogodo