mardi 28 février 2017

’’Père indélicat’’, furieux drame d’un double inceste

Dans le cadre d’une représentation théâtrale au Fitheb


La grande Salle du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb) a abrité, dans la soirée du jeudi 23 février dernier, la générale de ’’Père indélicat’’, une pièce de théâtre écrite par Dimitri Fadonougbo et mise en scène par Arsène Kocou Yémadjê. Elle retrace l’itinéraire catastrophique de Marc, un homme d’affaires dont l’appétit sexuel incontrôlé débouche sur deux situations incestueuses.

Une séquence sensible de ''Père indélicat''
Un coït subtilement présenté et assaisonné dont seul Arsène Kocou Yémadjê se trouve avoir le secret. Une séquence inouïe de la pièce, ’’Père indélicat’’, dont il a assuré la mise en scène et qui fut représentée, pendant 49 minutes, le jeudi 23 février 2017, à la grande Salle du Festival international de théâtre du Bénin (Fitheb), de l’ex-Ciné Vog, à l’Avenue Steinmetz de Cotonou.

Meldy Gnamey, face au jeu du coït
La comédienne Meldy Gnamey, officiant, entre temps, comme un personnage neutre, s’est vue attribuer la lourde responsabilité de rendre compréhensible par le public une relation sexuelle, en bonne et due forme, entre Charbel et Angélique, deux amoureux transis, la seconde, présente sur scène, d’un bout à l’autre de la représentation, ayant été incarnée par Nadjibath Ibrahim. En effet, nous avions une scène circonstanciellement rendue romantique par un éclairage d’un sombre profond zébré d’un rouge cœur, et atténué par le jet d’une lumière blanche émanant d’un projecteur. Et, sur un fond du morceau mythique, ’’Sexual healing’’ du chanteur américain Marvin Gaye, Meldy Gnamey, armée d’un panneau en fond blanc sur lequel étaient marqués, de manière bien visible et, en noir, les noms de Charbel et d’Angélique, représentés, chacun, par la flèche correspondant à son sexe, a dispersé des fleurs de pétale avant de se saisir d’un string et d’une banane, un fruit qu’elle a passé dans l’un des espaces de la culotte, avant de l’éplucher, de le dévorer et de le recracher brutalement, répandant, de manière bien ostensible, la pâte sur le panneau. C’est ainsi que, symboliquement, se déroula la symbiose sexuelle entre les deux amoureux et, le jet de la banane mâchée, matérialisait une bonne éjaculation de Charbel. Du Arsène Kocou Yémadjê tout craché, un metteur en scène pour qui rien ne peut être tabou, même sur scène.
Cette séance copulative concrétisait un amour profond que contrariait Marc, homme d’affaires, père putatif d’Angélique, celui-ci qui, ignorant qu’elle était la fille qu’il avait eue d’Alice, son ancienne secrétaire qu’il avait mise enceinte et dont il avait rejeté la grossesse, s’était donné la mission de supplanter son fils Charbel dans le cœur de la jeune fille. Il y parvient superficiellement, entretenant des rapports sexuels avec elle, en contrepartie d’un legs important de ses biens. Le pot-aux-roses du père qui couche avec sa propre fille est découvert au cours d’une explication entre Alice et son ancien amant de Marc, en présence d’Angélique. Et, tout compte fait, Marc, la force thématique, sort grand gagnant du jeu, lui qui, à plusieurs années d’intervalles, a réussi à faire succomber Alice et Angélique, l’une et l’autre, s’étant constituées en personnages adjuvants de l’objet de cet homme qu’est la recherche effrénée de la jouissance sexuelle. L’une et l’autre ont aidé Marc dans sa victoire par leur situation de sujétion, la première ayant subi l’influence du patron et, la seconde, se laissant emporter par toute sa fascination du charisme de Pdg de Marc, de son statut social attrayant, de son bon train de vie, de ses possessions. Si, finalement, Angélique et lui constituent les destinataires de l’objet poursuivi par Marc, c’est que lui peut s’enorgueillir d’avoir enrichi son tableau de chasse et que la promise à Charbel a gagné du côté de son patrimoine qui s’est richement étoffé. Marc, ayant comme destinateur une concupiscence charnelle sans frein, fini comme un anti-héros bien gâté. En effet, les opposants à son action ont peu de ressources pour le faire tomber : Charbel, son fils, absent physiquement dans le jeu de la pièce et visiblement respectueux de son père, Solange, la secrétaire de Marc qui s’essaie à un certain chantage, et Alice qui occasionne la délivrance de la vérité.
Marc reste finalement impuni de ses graves écarts moraux, lui qui porte lourdement sur la conscience une relation sexuelle avec une fille de 13 ans, deux assassinats dont celui d’un ministre des finances, et de la fraude fiscale, un peu comme si la pièce voulait fortement toucher du doigt un sport en vogue dans notre pays : l’impunité des intouchables.  

De gauche à droite, Meldy Gnamey, Patrick Gbaguidi, Nadjibath Ibrahim, Arsène Kocou Yémadjê et Dimitri Fadonougbo
Il a fallu un décor à la fois sobre et suggestif pour rendre compte d’un drame dont toute la poigne a été quelque peu affaiblie par le jeu mal équilibré de Meldy Gnamey et de Nadjibath Ibrahim, Solange et Angélique dans la pièce, ces comédiennes chez qui l’on ne pouvait s’empêcher de sentir la tiédeur liée à la prise en charge, apparemment, pour la première fois, d’un rôle d’une telle envergure sociale, la première ayant fait perdre tout naturel à son jeu, la seconde qui en débordait plutôt, spectaculairement, et qui n’a pas trop bien ajusté le geste aux sentiments que suggérait le texte qu’elle tentait de dire si bien. Par ailleurs, Patrick Gbaguidi, dans le rôle de Marc, a-t-il pu restituer le charisme de l’influent homme d’affaires ? C’est juste s’il peut avoir à son actif d’avoir faire ressortir le caractère charnellement concupiscent de ce personnage. Comme si les trois acteurs s’étaient passés le mot de la tiédeur, lui aussi n’a pu échapper à une certaine fadeur de jeu. Ce sont autant de problèmes qu’est venue faire oublier l’imagination généreuse d’Arsène Kocou Yémadjê qui a aussi bien donné une chance à des comédiens de se produire qu’il a réussi à rendre possible ce qui apparaissait impossible à communiquer : le sentiment de la réalisation de l’acte sexuel.


Marcel Kpogodo      

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